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Les répercussions du coronavirus sur le secteur de la mode

Comme toute l’économie, le secteur de la mode est rentré dans une zone de turbulences lorsque la décision a été prise de fermer toutes les boutiques, puis deux jours plus tard, de placer la population en confinement. Comment poursuivre son activité dans ces conditions ? C’est la question à laquelle a été confronté l’ensemble des entrepreneurs et dirigeants. Nous nous sommes évidemment spécifiquement intéressés à la filière mode en questionnant différents acteurs (créateurs de marques, gérants de magasins et boutiques en ligne) sur la gestion de cette crise. Les chiffres évoqués prennent en compte la réponse de 35 participants à cette enquête. On a évoqué avec eux les premières décisions prises dans l’urgence, la recherche permanente de solutions pour poursuivre malgré tout son activité, le quotidien et l’avenir tout aussi incertain.

1. La survie de son activité

Pour aider et accompagner les entreprises, le gouvernement a mis en place plusieurs mesures dont le report de ses échéances sociales et/ou fiscales (URSSAF, impôts directs), le maintien de l’emploi grâce au chômage partiel simplifié et pris en charge par l’État, la possibilité de rééchelonner ses crédits bancaires, etc. Voici d’ailleurs dans le détail l’ensemble des mesures de soutien aux entreprises.

Parmi les personnes que nous avons interrogées, 62% ont demandé un report de leurs échéances sociales et/ou fiscales. La proportion est de 70% parmi les sociétés ayant plus de 10 salariés. Et 52% ont demandé pour l’instant à bénéficier du chômage partiel. Avec là encore une proportion de 70% parmi les sociétés dont les effectifs sont plus importants. Et cette aide a été demandée par l’ensemble des marques et boutiques qui ont été touchées par la fermeture de leurs points de vente. Soulignons également qu’à de rares exceptions, les deux aides ont été actionnées simultanément pour pouvoir diminuer les charges habituelles.

Chute activité

Maintenir, ou pas, ou en partie ses effectifs a été une décision difficile car il a fallu prendre en compte la fonction de la personne et les prévisions de revenus. Pour un magasin contraint à fermer, c’était malheureusement sans issue : les employés se retrouvaient du jour au lendemain dans l’incapacité d’exercer leur activité et les perspectives de revenus étaient nulles. Pour une marque ou une boutique en ligne, la décision fut plus complexe : si des fonctions administratives, commerciales, marketing, techniques, etc. peuvent très bien être assurées en télétravail, comment garantir le versement de leurs salaires et des charges liées avec des revenus en très forte baisse ? Maintenir l’ensemble des effectifs peut faire courir un risque financier très important à l’ensemble de la société. Sa survie dépend donc des décisions qui ont été prises et devront à nouveau être prises.

2. L’e-commerce ne tient qu’à un fil

Passé le choc, et les premières décisions qu’il a fallu prendre, chaque chef d’entreprise a dû repenser son organisation, en passant en télétravail, pour rester en contact avec son équipe et ses partenaires. Pour poursuivre son activité et maintenir un niveau de revenu minimum, l’e-commerce est devenu plus que jamais un enjeu crucial. Parmi les entreprises interrogées, la baisse de CA global est pour l’instant en moyenne de -60%. Et il est malheureusement nul pour les boutiques qui ne sont pas présentes en ligne. L’activité e-commerce est elle en baisse de -45%, toujours en moyenne. Avec des écarts relativement importants allant de -20% à -80%.

Les plateformes logistiques où sont stockées les marchandises ont dû prendre la décision de fermer ou de se régorganiser lorsque c’était possible. En mettant en place des règles d’hygiènes strictes : désinfection régulière de l’entrepôt, distances de sécurité entre chaque employé, mise en place d’une amplitude horaire plus importante pour avoir moins de personnel au même moment ou à l’inverse moins importante car il n’y avait plus assez d’employés présents.

Karine Schrenzel, PDG des 3 Suisses :

« Nous avons dû nous adapter à tous les niveaux ! La logistique : espacement des tables de préparation, organisation des allées pour que les gens ne se croisent pas, port de gants, masque et utilisation de gel, réduction des horaires d’ouverture, renfort des administratifs en préparation pour pallier aux manques de ressources sur le terrain, télétravail sur les opérations de supervision. Au niveau des transports : plus de bordereaux de livraison émargés, livraison des clients « sans contact » avec suppression de la signature mais système de géolocalisation + photo du colis remis sur le palier. Et on a également adapté le service client : utilisation là encore de masque et gel hydroalcoolique, espacement des bureaux de travail, réduction des horaires pour palier également à la diminution des effectifs, mise en place de navettes dédiées aux salariés du prestataire et quand c’est possible développement du télétravail. »

Et pour palier la fermeture des Points Relais, il a fallu se recentrer sur certains prestataires logistiques, revoir ses minimums de commande pour offrir plus systématiquement la livraison et améliorer un taux de transformation dégradé, puis revoir les process en proposant la remise de colis sans signature.

Jusqu’à ce jour, La Poste continue d’assurer son service mais avec des tournées moins régulières (ce que tout le monde comprend parfaitement je pense). Je vous invite d’ailleurs à consulter cette page de questions-réponses spéciale COVID-19 mise en place par La Poste. Tout prend plus de temps, la préparation des commandes, les délais de livraison, mais peu importe l’activité même réduite se poursuit ! Et c’est le cas pour la majorité des acteurs que nous avons interrogés : 87,5% ont déclaré poursuivre actuellement leur activité e-commerce. Notez que depuis hier, Colissimo a suspendu temporairement toutes ses livraisons vers certains arrondissements de Paris et villes de la région parisienne Cf. leur page d’information spéciale COVID-19.

Régis Pennel, Fondateur de l’Exception :

« Nous sommes obligés d’être dans la réactivité en permanence car les nouvelles tombent au jour le jour. Hier, nous apprenions un engorgement sur les livraisons en Ile de France et le blocage d’une cinquantaine de codes postaux. Nous avons du déployer un fix informatique en urgence pour bloquer ces livraisons jusqu’à nouvel ordre. En parallèle, on apprend que DHL ne passera plus prendre les colis, on doit les amener de notre entrepôt jusqu’à Metz en camion soit 2h30 de routes… Nous nous adaptons tous les jours pour réussir à maintenir la logistique la plus fluide possible. »

Livraison

Pour ceux pour qui ce n’est plus possible, la dernière option est à présent de proposer une livraison « post confinement ». Cette situation, les clients la comprennent bien et témoignent de leur soutien par de simples messages ou en passant des commandes quel que soit le délai de livraison. Parfois même avec des paniers plus élevés que d’ordinaire. Des paroles, des actes, qui font du bien au moral ! Encore plus que d’ordinaire, les entrepreneurs passent beaucoup de temps à communiquer. Simplement pour dire qu’ils sont encore ouverts, puis rassurer leurs clients et partenaires sur les mesures de sécurité et les livraisons.

Jennifer Maumont, co-fondatrice de JULES & JENN :

« Sur la première semaine de confinement, les ventes de notre boutique en ligne ont connu un coup d’arrêt alors que nous étions en très forte croissance depuis le début d’année par rapport à l’année dernière. Heureusement, dès que nous partageons notre situation et les décisions que nous devons prendre, les messages de soutien de notre communauté affluent. Autre signe positif, le panier moyen de nos commandes est supérieur à d’habitude, avec davantage de commande multi-produits. »

Télétravail

Vulfran de Richoufftz, co-fondateur de Panafrica :

« Il fallait également changer notre manière de communiquer. Notre communauté a du mal à bouffer du produit matin, midi et soir. Je pense qu’il faut savoir parler d’autre chose dans un contexte qui est un peu morose. Donc on a réorganisé notre communication sur les réseaux sociaux pour essayer de mettre en avant de bonnes initiatives et parler de choses positives. »

Notons enfin quelques spécificités parmi les commandes passées en ce moment, les consommateurs sont à la recherche de produits plus loungewear et plus sportwear comme les sweats, que l’on porte évidemment plus en période de confinement qu’une chemise (qui reste indispensable pour les visioconférences bien sûr).

3. La saison d’après

Pour un créateur de marque, l’heure est à la recherche de solutions pour maintenir sa production. Des usines et des fournisseurs qui sont également touchés par cette pandémie. Tout tourne au ralenti lorsque la production n’est pas tout simplement à l’arrêt. Par manque de commandes et d’activité, on peut d’ailleurs craindre la fermeture d’usines. Et cette situation ne concerne plus uniquement l’Asie mais l’ensemble des ateliers dans le monde !

Antonin Chabanne de Belledonne :

« Notre usine portugaise prévoit d’ores et déjà un CA en baisse de 30% alors qu’elle emploie 80 personnes. Beaucoup de marques qui travaillent en retail sont obligées d’annuler leur commande. Notre modèle est différent (DNVB / Direct au consommateur) et nous permet actuellement de maintenir nos commandes. Le patron était aux anges en apprenant la nouvelle car la situation est très compliquée. Il compte également sur l’aide de l’État portugais. »

Atelier mode

Cette collection pour laquelle de nombreux frais ont été engagés, ne pourra pas être vendue aux boutiques partenaires avant plusieurs semaines et auront-ils les moyens de l’acheter ? Alors qu’ils auront à peine vendu la collection actuelle en boutique ! La durée de vente va être raccourcie et les soldes vont très vite arriver. Certes, ils pourront ainsi récupérer des liquidités mais avec un taux de marge réduit, ce qui limitera mécaniquement leurs futurs achats. Et si on décalait la date des soldes ? C’est en tout cas ce que souhaiteraient certains professionnels qui ont signé cette pétition qui circule depuis quelques heures.

Régis Pennel, Fondateur de l’Exception :

« Les revendeurs se font livrer la marchandise pour 6 mois de ventes et ils comptent sur le début de la saison pour dégager du cash pour payer en partie cette marchandise. Le confinement est arrivé en début de saison, donc au pire moment : les stocks sont au maximum et il y a un risque de défaut ensuite sur tous les maillons de la chaine ! Les factures commencent à tomber, les revendeurs vont avoir du mal à les payer aux créateurs, certains créateurs ne pourront pas acheter leurs matières et verser les premiers acomptes aux fabricants, beaucoup vont devoir annuler leur collection AH20. »

À cette période de l’année, on réalise également des prototypes pour concevoir les futures collections. En plus des difficultés de financement, cette phrase de conception va prendre beaucoup de retard. Sans doute que le plan B va être de proposer des produits avec très peu d’évolutions par rapport à la dernière collection faute de pouvoir tester de nouvelles matières, de nouvelles formes et de nouveaux procédés.

4. L’inquiétude d’une crise économique majeure

Malgré les aides, les acteurs de la mode sont inquiets. Les demandes de chômage partiel ne sont pas toutes accordées et la sortie de crise risque d’être difficile. La collection actuelle avait à peine commencé à se vendre, le niveau de trésorerie est souvent bas, et la saison va être considérablement raccourcie. Créateurs, ateliers, salons, médias, boutiques, c’est tout l’écosystème de la mode qui va devoir s’adapter pour survivre !

Mais on a envie de finir sur une note positive en espérant que cette crise va contribuer à accélérer nos changements d’habitudes de consommation. L’effondrement du Rana Plaza en 2013 et les données sur l’impact environnemental de la mode ont fait prendre conscience peu à peu que nous avions tous la responsabilité de consommer différemment. On pense notamment au « Made in France » que nous mettons en avant depuis plusieurs années.

Atelier Bleu de chauffe vue interieur

Beaucoup d’acteurs se sont battus pour conserver ce savoir-faire. Le secteur de la mode et du luxe recrute à présent des stylistes, modélistes, coupeurs, piqueurs, mécanicien textile, chef d’atelier, etc. Et un grand nombre d’ateliers participent en ce moment même à la production de masques et de solutions hydroalcooliques. Cet outil de production, il faut évidemment faire en sorte de le préserver, et plus largement encourager toutes les initiatives qui visent à produire localement, de manière plus responsable, en privilégiant la qualité.

Cette crise peut nous inciter à rationaliser notre consommation. Faire que le prix ne soit plus le critère d’achat essentiel, valoriser plus la seconde-main qui est un excellent moyen d’acquérir des vêtements dans un budget limité, acheter moins mais mieux, prendre plus soin de ses vêtements, etc. Continuer à s’informer car un acte d’achat ne peut pas se résumer en une décision binaire (France = bien, Chine = mal), la réalité est bien plus complexe ! Et on essaie depuis 15 ans de la décrypter et d’exiger avec vous plus de responsabilités, plus de transparence, plus de qualité. Bien sûr, il y aura toujours des achats déraisonnables, car nous avons tous nos contradictions et que nous aurons aussi besoin de cela après cette épreuve, mais cette crise pourrait nous aider à nous recentrer sur l’essentiel.

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