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Comprendre le prix des vêtements

Dans un monde idéal, chaque être humain est en mesure d’effectuer ses choix de manière rationnelle, car il est en possession de toutes les informations qui vont éclairer ses décisions. En réalité, c’est bien plus compliqué puisqu’il manque souvent à l’acheteur de nombreuses données à prendre en considération et que ce dernier peut se laisser griser par une pulsion ou une émotion pour acheter un produit. Et c’est normal, puisque nous ne sommes pas (encore) des robots ! Le domaine de l’habillement ne fait pas exception et son fonctionnement reste plus ou moins opaque. Pourtant, mieux comprendre la façon dont le prix des vêtements est fixé est important, puisque cela permettra de faire un choix avec toutes les cartes en main. Et comme l’année 2022 est marquée par une hausse généralisée du prix des vêtements, c’est l’occasion de s’y pencher afin de mieux comprendre ce qui la justifie. Pour cela, commençons par évoquer le circuit traditionnel (et majoritaire) du prêt-à-porter : de la matière première à notre passage en caisse d’un magasin.

Circuit Pret a porter

Il parait important en préambule de cet article de justifier son cheminement. En toute logique, la première chose à évaluer sera le prix des matières premières, degré zéro du vêtement à l’état de plante, de plastique ou de peau. Vient ensuite l’étape de la fabrication : comment les marques trouvent-elles leurs lieux de production ? Quelle est la différence de coûts entre les pays européens et asiatiques ? De là, nous aborderons les derniers coûts entrant dans le prix du produit : les intermédiaires logistiques et commerciaux. Puis nous verrons concrètement ce que cela représente sur le coût d’un vêtement. Enfin, il sera question d’un modèle de production alternatif, déjà adopté par certaines marques.

Sommaire :
1. Le prix des matières premières
2. Le prix de la fabrication
3. Le prix des intermédiaires
4. L’exemple du prix d’un vêtement
5. Un nouveau modèle de production ?

1. Le prix des matières premières

Les matières premières sont les constituantes majeures des vêtements que nous portons. Dans chaque catégorie, il en existe de diverses qualités faisant qu’à l’achat, elles seront plus ou moins onéreuses. Sur ce point, plusieurs paramètres entreront en ligne de compte, et on a envie de dire qu’ils sont liés à la nature sans toutefois renier le travail en aval de traitement de la matière. En effet, une fleur plus précieuse qu’une autre, un sol exceptionnellement fertile, un animal à la pelure rare ou à la peau spécialement belle, feront gonfler le prix d’avantage. De l’autre côté, le synthétique aura également une variante sur la qualité mais aussi sur la recherche et le développement en ce qui concerne les tissus techniques.

A. Le coton

Le cotonnier est un arbuste pérenne des pays chauds, exploité comme une plante annuelle. Il s’agit d’une fibre végétale prélevée à partir de la fleur de coton. C’est la matière naturelle la plus utilisée dans le monde ! Le coton est moyennement chaud, résistant, facile d’entretien et doux. Comme pour chaque matière, il en existe de diverses qualités (500 sortes différentes seraient cultivées dans le monde), le plus prestigieux provenant du Zimbabwe. De ses caractéristiques dépend son usage, et donc sa valeur. Dans le monde du textile, les cotons à fibre très longue égyptien, égyptien américain ou Pima et Sea Island de l’espèce Gossypium barbadense, représentent le standard du haut de gamme. La fibre de ces espèces est longue, fine et résistante. Comme il est plus cher à l’origine, cela se ressent sur le prix du produit fini.

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Le prix du coton a augmenté de 54% depuis 2021.

Pour fixer le prix du coton, la référence la plus reconnue au niveau international est l’Indice A de Cotlook. Il est basé sur le prix d’offre représentatif d’un « panier » des cotons de grade moyen les plus commercialisés à l’échelle internationale. Ces prix renvoient à une qualité moyenne courante. Les prix des principales origines sont publiés au quotidien par Cotton Outlook et sont notamment fixés en fonction du grade (qualité supposée selon le type de plante) et de la longueur de fibre. Les trois plus grands producteurs de coton sont la Chine, l’Inde et les États-Unis : ils représentent plus de 60% de la production mondiale. Depuis 2021, son prix a explosé (comme la plupart des matières premières) : jusqu’à +54% ! Cela s’explique notamment par de mauvaises récoltes, une forte hausse de la demande en coton et l’explosion du prix du transport maritime : tout cela se répercute logiquement sur le prix du vêtement proposé.

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Photo issue de notre reportage dans les ateliers de la marque française Le Minor.

Une fois acheté par des usines textiles, le coton subit l’étape de sa transformation en fil dans des usines spécialisées. Elles se divisent en plusieurs catégories selon que la longueur de la fibre soit courte ou longue. Si le progrès technologique a fait considérablement évoluer cette pratique vers l’automatisation et une production à plus grande échelle, certaines manufactures continuer de disposer de métiers à tisser traditionnels pour réaliser des séries plus confidentielles de grande qualité.

B. Le cuir

Dans l’univers du textile, le cuir désigne la peau de l’animal ensuite traitée. Pour simplifier, on distingue 2 qualités de cuir : le « fleur de cuir » et la « croûte de cuir » : la première étant la couche supérieure de l’animal, plus noble, plus souple, plus résistante, plus imperméable. Son aspect est plus lisse. On parle de « cuir pleine fleur » quand on l’utilise sur toute son épaisseur et qu’on a conservé son aspect naturel. La seconde, nommée « croûte de cuir », désigne la couche inférieure de l’animal, côté chair, obtenue par refente de cuirs épais. On parle de « croûte velours » lorsqu’on conserve son aspect fibreux, ou de « croûte enduite » lorsqu’on la recouvre pour lui donner un aspect de cuir lisse. La croûte de cuir est principalement utilisée pour les vêtements bas de gamme.

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La fabrication d’une chaussure en cuir. Photo issue de notre sujet Comment assouplir ses chaussures en cuir ?

D’une manière générale, tous les mammifères peuvent fournir du cuir, mais seuls ceux qui ont une peau ne comportant que peu d’aspérités et une surface suffisante sont utilisés par l’industrie de la mode. Les cuirs les plus utilisés demeurent l’agneau, la vachette et le buffle, même si le mouton, la chèvre, le porc ou des cuirs dits « exotiques » se trouvent également à moindre échelle.

Une fois les peaux d’animaux contrôlées pour leur qualité, elles sont traitées car le cuir de la bête doit être travaillé avant d’être exploitable. Les peaux fraiches sont notamment salées puis désalées pour éliminer l’eau et permettre de les conserver. Il y a ensuite les opérations de trempage, de pelanage, d’écharnage, de confitage, de picklage, de tannage, de corroyage, et de finition ! Si toutes les étapes sont importantes, les deux dernières destinées au rendu final du cuir le sont d’avantage. Par exemple, le tannage est l’opération consistant à transformer la peau en cuir grâce à des tanins, substances de différentes natures (végétale, minérale comme les sels de chrome III, combiné) qui permettent d’assouplir, d’hydrater et d’étanchéifier le cuir. La finition agira ensuite sur la surface pour lui donner un aspect plongé, nappa, vieilli ou froissé.

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Chaussures en cuir veau velours. Photo issue de notre test des Derby Velasca Orlogèe.

Le prix du cuir sera ensuite fixé selon l’animal duquel il provient, le grain de sa peau et son traitement. La marque Piola témoigne :

Pour la qualité du cuir, tout est une question de traçabilité, de toucher et de finition. Ainsi, pour notre part, il est important de veiller à un contrôle minutieux de la qualité des cuirs que nous recevons.

C. La laine

La laine est une fibre d’origine animale, provenant de la toison des moutons ou d’autres animaux. Elle présente l’avantage d’absorber l’humidité, c’est un excellent isolant thermique et donc une matière idéale pour l’hiver. Là aussi, il y a diverses qualités avec des attributs de longévité plus ou moins importants. Le procédé initial est la tonte de l’animal. On récolte ensuite sa toison et on la trie selon la partie du corps dont elle est extraite car cela détermine déjà un indice de qualité. Elle est en suite lavée, démêlée, peignée, filée, teintée et tissée pour donner une armure de laine. En moyenne, un mouton possède environ 2 kg de laine sur lui au moment de la tonte et dans une exploitation de taille normale, un tondeur peut voir défiler entre 200 et 300 animaux dans la journée, payé approximativement 1,50€ par bête tondue.

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Un troupeau de moutons.

L’indicateur principal sur la qualité, et donc le prix final de la laine, est avant tout l’animal duquel elle provient. Le mouton et l’agneau constituent ainsi le degré zéro de la laine et on montera en gamme si c’est un mouton mérinos avec des poils plus doux et longs. Le mohair, provenant lui de la chèvre angora, présentera une pelure encore plus longue. Notons également parmi les plus courants l’alpaga, animal originaire des hauts plateaux du Pérou et le lapin angora produisant tous deux des laines très recherchées pour la longueur et la finesse des poils. Enfin, la plus prestigieuse et la plus chère de toutes les laines est produite par des chèvres élevées dans la région montagneuse du Cachemire (entre l’Inde et la Mongolie). Elle est aussi chère avant tout pour ses qualités et sa rareté : légère, soyeuse, brillante, élastique, moelleuse et chaude, sachant qu’on la classe à l’instar du coton selon un indice gradé : le grade A représentant le plus haut. La plus générique des laines sera vendue entre 1€ et 1,30€ le kilo quand des types plus prestigieux pourront parfois atteindre les 20€. La choisir s’acquiert avec l’expérience, selon la marque Atelier Particulier :

La matière brute est très importante. Ainsi, la laine mérinos néo-zélandaise est très réputée. Le processus de transformation de la laine et de filature aussi. Les meilleures usines se trouvent justement dans le Nord de l’Italie, sur les contreforts des Alpes, comme la manufacture Zegna Baruffa, qui fait partie du groupe du même nom. Les trois principaux critères pour nous: la qualité du processus de transformation, gage de durabilité, la douceur et le “toucher” de la laine. Nous utilisons presque exclusivement de la laine vierge, qui est une laine peignée donc plus douce.

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Plaid en laine mérinos. Photo issue de notre test du plaid l’Atelier Particulier.

Enfin, la désignation laine vierge correspond à un produit auquel on n’a rajouté que 7% au maximum d’autres fibres. Pour la pure laine vierge, ce pourcentage est ramené au maximum à 0,3% d’autres fibres. Les désignations 100% laine sont donc très floues et peuvent correspondre à de nombreuses choses, notamment à une laine de moindre qualité ou à de la laine recyclée. Les plus grands producteurs de laine mondiaux sont la Chine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Iran, l’Argentine et le Royaume-Uni.

D. Le caoutchouc

Parmi le lot de matières premières utilisées pour la confection des vêtements, le caoutchouc est largement sous-estimé, notamment pour son rôle primordial dans l’industrie de la chaussure (via les semelles). Le caoutchouc est un matériau qui peut être obtenu soit par la transformation du latex sécrété par certains végétaux (par exemple, l’hévéa), soit de façon synthétique. On ne l’utilise jamais dans son état naturel mais surtout après vulcanisation, procédé chimique permettant de lui donner notamment des attributs de solidité et d’élasticité. Néanmoins, savoir reconnaître la qualité d’un caoutchouc à l’état naturel est primordial et détermine en partie la durabilité du produit qui en ressortira une fois transformé. Pour la marque de baskets Piola, tout est dans la qualité des feuilles :

La démarche de sélection d’un caoutchouc est très différente de celles des autres matières. En ce qui nous concerne, nous utilisons du caoutchouc sauvage d’Amazonie provenant du Pérou. Nous recevons ensuite des feuilles de caoutchouc à partir du latex d’Hévéa. Nous faisons très attention à l’humidité des feuilles et à la pureté et concentration en latex dans un souci de confort et de tenue.

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La récolte du caoutchouc. (Photo libre de droit par tingoose01)

Les basiques à avoir dans son dressing

L’usage du caoutchouc s’est surtout démocratisé dans les années 60 pour les semelles de chaussures. C’est avec un moule qu’on parvient, après patronage, à lui donner la forme souhaitée grâce à l’application de chaleur. Généralement, le secret de la semelle de chaque fournisseur est bien gardé, il est ainsi impossible de donner un ordre de prix sur sa conception à proprement parler et, au même titre, un pourcentage de caoutchouc présent dans une semelle de qualité. Néanmoins, on peut estimer que pour une basket de running générique, cela tournera autour des 1,50€ à 5€ et plus lorsqu’on touchera à des qualités supérieures (type Common Projects).

E. Les matières synthétiques

S’étendre en détails sur la totalité de la provenance et de la qualité des matières synthétiques serait bien trop long tant il en existe. Il reste compliqué de connaître précisément le coût des matières synthétiques au sein d’un tissu mélangé. D’autre part, la qualité des matières synthétiques et les traitements appliqués ont des coûts très variables et l’on ne peut pas généraliser. Ainsi, l’acquisition d’un tissu en nylon pour faire une doublure sera de l’ordre de 50 centimes à 5€ le mètre. Mais s’il a subi un traitement étanche ou spécialement résistant pour en faire une parka par exemple, on pourra aller bien au delà de ce prix : fois 2, 3, etc… Enfin, un tissu Gore Tex sera bien évidemment encore plus cher.

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Le test de la résistance des matières Gore-Tex. Photo issue de notre article Focus sur les vêtements en Gore-Tex.

F. Les fournisseurs

Nous venons de le voir, le choix des matières premières joue un rôle primordial dans le processus de création vestimentaire (et son prix). Mais l’autre chose la plus importante pour toute marque de mode, c’est de débusquer le fournisseur fiable. On peut les classer en deux parties : les entités habituées à travailler à grande échelle (desquelles on attend un produit plutôt générique disponible en grande quantité) et celles plus confidentielles offrant la rareté et ne se limitant qu’à des petites séries.

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Les ateliers Le Minor. Photo issue de notre reportage sur place.

Mais comment trouver ces fournisseurs ? Lorsqu’une marque se lance, ce n’est pas si compliqué qu’il y parait. D’abord, il existe différents salons professionnels sur l’univers du textile où des représentants en matières premières sont massivement présents. Il y a donc l’embarras du choix, ce qui est pratique puisqu’il est très rare qu’une marque ne possède qu’un seul fournisseur. Par exemple chez Atelier Particulier on essaie tant bien que mal de « piocher » chaque matière chez des noms réputés :

Nous allons chercher des fournisseurs spécialisés là où ils se trouvent: à Biella pour la laine, à Côme pour la soie, en Toscane ou à Limoges pour le cuir, etc. La partie la plus difficile de notre travail : les convaincre de travailler avec nous !

Ensuite, le bouche à oreille reste un élément important à prendre en compte. Pas forcément dans un milieu aussi concurrentiel que celui de la chaussure dans lequel on révèle moins ses sources, mais plus dans l’habillement. Enfin, un bon fournisseur ne sera pas forcément celui qui fera le meilleur prix, mais aussi celui avec qui une marque estimera avoir la meilleure relation humaine et professionnelle. Tous ces éléments constitueront ainsi un partenariat durable. Pour Maison Standards, cette étape est cruciale :

Le sourcing matières et usines est essentiel et définit la qualité des produits. On procède de manière très traditionnelle : on sélectionne une gamme de tissus puis on contacte les tisseurs et agents spécialisés dans ces matières. On sélectionne dans leur gamme les références qui nous plaisent le plus et qui sont des bons standards. Puis l’usine achète auprès des tisseurs à chaque production. Nous avons quelques usines seulement qui travaillent pour nous, chacune spécialisée dans une catégorie de produits : la chemise, le pantalon, le pull… Nous sélectionnons les usines après les avoir visitées sur place et regardé les produits et les marques clients. Puis nous établissons des relations de confiance dans la durée, car nous lançons des réassorts tous les 2 mois.

2. Le prix de la fabrication

La matière première trouvée, via un fournisseur, reste encore à confectionner le vêtement ! Pour justifier le prix de fabrication, de nombreux facteurs vont entrer en jeu, selon la façon de produire (artisanale, automatisée), la qualité du travail effectué et le pays dans lequel se trouve le lieu de fabrication. L’Asie reste le continent où les salaires sont les moins élevés, ce qui réduit considérablement le coût de fabrication. Mais comme le montre notre graphique, le made in Europe n’est pas toujours synonyme de coûts beaucoup plus élevés : tout dépend du pays choisi. Ainsi, le salaire minimum bulgare est à peine plus élevé que le chinois. Mais le salaire français est entre 4 et 5 fois plus élevé que celui des 2 pays cités précédemment.

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A. Pourquoi produire en Asie ?

Il est de commune mesure d’englober par « Asie » tous les pays de production à bas coût lorsqu’on parle de textile ; à savoir principalement la Chine, le Bangladesh, l’Inde, Le Vietnam, le Cambodge, le Sri Lanka et le Pakistan. Alors, pourquoi tant de marques font-elles fabriquer là-bas ? D’abord, car ces pays possèdent un arsenal bien garni en la matière. Par exemple, la Chine représente à elle seule 35,6% des exportations de textile dans le monde (contre 24% pour l’ensemble des pays de l’Union Européenne). Se fournir en Chine est donc l’assurance de trouver ce que l’on cherche, tant l’offre est abondante.

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Étiquette d’un vêtement fabriqué en Chine.

Ensuite, car le coût du travail est bien moindre par rapport à celui de chez nous (ce qui signifie plus de marge pour la marge). Et les conditions bien moins confortables qu’en France : là-bas, il y a pas ou peu de congés, de pauses, d’arrêts maladie, etc. Cependant, les choses commencent à bouger et certaines usines chinoises ont désormais des certifications quant au bon traitement de leurs employés. Ainsi, il est possible de dénicher des perles, des usines aux standards de qualité élevés. Par exemple, chez Maison Standards, on préfère la jouer transparent :

Nous ne produisons pas exclusivement en Europe, c’est très difficile et ça n’a pas forcément de sens pour certains produits ou matières qu’on ne trouve que dans certaines régions. On fabrique autant que possible en Europe mais les pulls, le cachemire et la soie sont faits par exemple en Chine. À ce propos, Maison Standards est transparente et fait le choix d’assumer de trouver d’excellents ateliers de production en Asie.

B. La production européenne

Délocaliser sa production loin de son lieu de vente préférentiel semble être une pratique moins populaire depuis quelques années. Plusieurs raisons peuvent justifier ce fait qui est plus qu’une simple tendance : l’aspect environnemental, les scandales à propos des conditions de travail ou du recours au travail forcé des Ouïghours ou encore l’explosion des coûts lié au transport maritime. Depuis 2021 et la période post-covid, synonyme d’explosion de la demande mondiale, le prix d’un conteneur maritime entre la Chine et le Havre a été… multiplié par 15 ! De quoi rabattre les cartes et rebooster un mouvement déjà enclenché. En effet, les marques se tournent de plus en plus vers des usines situées en Europe. Pour Adrien, de chez Paname Collection, cela fait partie de l’ADN de la marque :

Les matières premières représentent 30 à 35% du coût d’un de nos vêtements. Nous travaillons avec des fournisseurs et ateliers européens donc l’augmentation du coût du transport maritime ne nous concerne pas vraiment. Mais la question se pose pour les tissus japonais. De base, ils sont déjà onéreux mais avec l’augmentation de leur prix et l’important délai d’approvisionnement nous incitnte à moins travailler avec cette région du monde.

Avant de poursuivre ce propos, il semble inévitable de séparer notre continent en deux parties : d’abord l’Europe de l’Est, où l’on a accès à des unités de production à bas coût qui offrent une qualité variable. Et l’Europe de l’Ouest, généralement reconnue pour produire des vêtements dans une gamme plus élevée. Ainsi, comme le montre le graphique précédemment cité, si une marque souhaite jouer sur un faible coût de production, se tourner vers la Bulgarie ou la Roumanie n’est pas beaucoup plus coûteux que la Chine. Car le salaire n’est pas très élevé et que la proximité de la production fait réaliser de bonnes économies sur le transport. Sans compter sur son image de marque, qui bénéficiera de la mention “fabrication européenne”, devenue un véritable argument marketing. De plus, le savoir-faire est généralement au rendez-vous.

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Veste de costume fabriquée en Italie. Photo issue de notre article Costume Boggi Milano : Test & Avis.

Au final, s’il est impossible de tirer une généralité des faits qui viennent d’être énoncés, les très grandes marques (incluant certains noms estampillés « luxe ») seront plus promptes à choisir un lieu de production à bas coût afin de réaliser des économies d’échelle. Clairement, elles le font pour leur marge, pour gagner plus d’argent. Pour autant, peut-on établir une hiérarchie entre les pays et leur la réputation en termes de savoir-faire et du salaire de ses ouvriers ? Atelier Particulier se prête au jeu :

Il faut considérer le savoir-faire des ouvriers, leur « sérieux » et aussi… leur salaire si on veut évoquer la question du rapport qualité-prix. D’un point de vue « technique », on peut hiérarchiser de cette manière : France / Italie / Angleterre (dans une moindre mesure) en tête, puis le Portugal / Espagne, puis les pays de l’Est et Maghreb et enfin, l’Asie. Pour ce qui est du rapport qualité-prix en revanche, sortir de France peut être vite intéressant…

Dans le fond, chaque pays a plus ou moins son domaine de prédilection. Pour la chaussure par exemple, c’est le Portugal qui garantit le plus haut niveau de compétence au monde. Pour Piola, il n’y a pas photo :

Le Portugal est doté d’un des meilleurs savoir-faire européen concernant les coupes et piqûres de cuir ainsi que le montage. La modernité et l’organisation de nos 2 usines nous impressionnent à chaque voyage. Elles se sont dotées récemment de magnifiques outils technologiques pour le montage et la fabrication de nos modèles. C’est un mix parfait entre modernité et savoir-faire. Il n’y a pas de comparaison possible sur 3 points essentiels :

1. La qualité des matières, que ce soit sur le cuir, les composants ou la composition de nos semelles.
2. Les parcs de formes que nous utilisons sont parfaitement profilés et permettent un look très clean et une silhouette juste.
3. L’amélioration et le respect de conditions de travail agréables pour les salariés ne fait qu’accroître leur motivation et leur vigilance en termes de qualité et de finition des produits.

C – Artisanat vs Chaine automatisée

Face à cette course à la production à tarif bas, dont le consommateur est désormais tout à fait conscient, la production artisanale revient en force. Si ce sont principalement des marques de niches qui préfèrent le créneau authentique pour conquérir un public d’avertis, d’autres grands noms, souvent pointés du doigt, reprennent le chemin de la fabrication traditionnelle et locale.

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Un artisan prend soin du cuir d’une chaussure.

New Balance, par exemple, possède 4 ateliers (3 aux USA et 1 au Royaume-Uni) dans lesquels ses produits sont fabriqués à la main et à la machine à coudre par des ouvriers qualifiés. Au final, pour un produit similaire, on le ressent sur le prix puisqu’une basket produite en Asie atteint les 100€ alors que certains modèles handmade dépassent les 200€ pour que l’ensemble des éléments de la chaîne du produit soit rentable (du fournisseur de matière première au revendeur final).

D. Quelle place pour le made in France ?

Nous évoquions plus haut l’explosion du coût du transport maritime et le retour à l’artisanat. De quoi se réjouir pour la production textile française ? La marque de chaussures Bocage n’a pas attendu 2021-2022 pour porter les couleurs du made in France mais Mélissa, de chez Bocage, estime que le mouvement pourrait s’accélérer :

Nous sommes l’une des rares marques à avoir conservé une usine de fabrication de chaussures en France (cf chiffres plus bas), dans le Maine-et-Loire. Les circuits courts nous permettent de réduire notre empreinte carbone, de maintenir et de développer notre savoir-faire et de réduire les délais de livraison. Cette crise et l’augmentation des coûts peuvent jouer un rôle d’accélérateur dans la production de proximité.

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Chaussures fabriquées en France. Photo issue de notre article Boots Kleman Oxal V : Test & Avis.

À ce jour, l’industrie française de la chaussure représente environ 5000 emplois : c’est 39% de moins que dans les années 2000. Le constat est encore pire côté textile, puisque cela représente 12 000 emplois en France : 90% de moins que dans les années 60. Ne nous leurrons pas, nous ne retrouverons jamais les mêmes chiffres qu’avant. Mais la fabrication française conserve une forte attractivité de part son savoir-faire, et elle pourrait bien retrouver de l’attractivité grâce à l’augmentation des coûts d’importation et de fabrication dans les autres pays.

3. Le prix des intermédiaires

Une fois le produit fabriqué, le circuit classique l’amène à passer entre les mains de nombreux intermédiaires avant de finir dans notre armoire. Et chaque intermédiaire veut sa part du gâteau. Marge, sur marge, sur marge, et voici un produit dont le prix est généralement perçu comme « trop cher ». En gros, le fournisseur de matières premières, le fabricant, la marque, un agent commercial cherchant de nouveaux points de vente pour les produits, et la boutique : tous prennent une marge comprise dans le prix final (sans compter de surcroît le prix de la publicité). Attardons-nous ici sur les deux intermédiaires dont le rôle majeur fait considérablement gonfler le prix que vous payez : l’agent et la boutique.

A. L’agent

Une fois ses produits fabriqués, une marque X, dans le modèle traditionnel, doit se mettre en recherche de boutiques pour le distribuer. C’est là qu’intervient le rôle d’agent commissionné. Un agent, c’est de manière imagée un type qui va se balader avec le catalogue de la collection prochaine pour la présenter aux boutiques et les convaincre de mettre les produits de la marque en rayon pour la saison arrivant. Évidemment, il a quelque chose à en tirer : entre 10 et 15% de commission sur le montant total de la commande. Néanmoins, c’est parfois le prix à payer lorsqu’on cherche à étendre sa marque vers de nouveaux marchés, car cela représente des perspectives d’ouvertures non négligeables. En effet, un agent possède souvent un « éventail » de marques qu’il propose à un panel de boutiques susceptibles de les distribuer, avec lesquelles il a déjà tissé des liens par le passé. Le calcul est donc vite réalisé si l’on se place sur un rapport commission/expansion. Chez Piola, une marque au réseau de distribution traditionnel :

Nous travaillons avec des agents pour le Benelux et l’Asie qui travaillent avec les plus belles marques de designers de prêt-à-porter. Ils veillent à la qualité de notre circuit de distribution, connaissent notre projet à la perfection et nous permettent d’entrer dans les plus belles boutiques existantes.

B. Les boutiques

La boutique représente la dernière étape entre un produit fini et notre armoire. C’est donc un intermédiaire important dans la décision finale d’achat qui reste au fond le but principal de toute marque de mode. Comme pour tout commerce physique, tenir une boutique de mode implique de nombreuses charges justifiant le prix affiché d’un produit : location d’un local, achat de marchandises, stock de marchandises, personnel, etc. En général, la boutique revend le produit acheté à une marque 2,5 fois plus cher. L’agent n’entrera quasiment pas en ligne de compte dans le processus du gonflement de prix, puisque son rôle d’intermédiaire sera rémunéré par la marque elle-même.

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Devanture de la boutique parisienne d’Olow. Photo issue de notre article Bienvenue chez Olow !

Nous consommateurs, avons souvent tendance à critiquer le prix final des produits des boutiques que nous fréquentons. Des facteurs tels que l’arrivée d’Internet, la popularité des marques de type fast fashion produisant à grande échelle et pour pas cher, ainsi que la crise économique, ont contraint les revendeurs physiques à réduire leur marge au fil du temps. C’est la raison pour laquelle on trouve de plus en plus des périodes de rabais intervenant à la mi-saison, hors des périodes de soldes.

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L’intérieure de la boutique Velasca. Photo issue de notre article Bienvenue chez Velasca Milano à Paris.

Face à cette perception du vêtement proposé « trop cher » de la part du consommateur, de plus en plus de marques ont décidé de couper tous les intermédiaires pour avoir une meilleure maîtrise de leurs coûts et donc du prix du vente. C’est ce que détaille Julia de la marque LePantalon :

Lorsqu’une marque vend ses productions au sein de points de vente externes, elle est obligée de prévoir la commission perçue par le revendeur lorsqu’elle fixe le prix de ses produits, afin de ne pas fragiliser la marge nécessaire à sa rentabilité.

Sur la même logique que le circuit court dans l’agriculture : plus on enlève de maillons à la chaîne, moins le prix de vente final est impacté. C’est pour maintenir ce prix juste pour le client que LePantalon limite au maximum les intermédiaires, en restant le seul revendeur de ses produits sur son e-shop et au sein de son réseau de boutiques.

4. L’exemple du prix d’un vêtement

Afin de disséquer concrètement le prix d’un vêtement, nous allons évoquer 2 pièces incontournables du dressing : la chemise et une paire de sneakers. Pour cela, nous avons pu compter sur les informations de The Nines et de Belledonne. La première marque est reconnue pour sa capacité à proposer des chemises à un prix très intéressant : sa stratégie est de limiter sa marge afin de vendre plus de produits. Ainsi, Erwan, de The Nines, nous explique comment une une chemise de la marque vendue à 69€ se décompose  :

– 12€ de tissu
– 7€ de confection
– 2€ d’accessoire (boutons, baleine de col, …)
– 1,50€ de logistique
– 34,50€ de marge de la marque (nécessaire pour payer les salaires, les loyers, les frais de fonctionnement, les impôts, le marketing et la communication, …)
– Ce à quoi s’ajoute la TVA à 20% : 11,50€. Et nous voilà à 69€.

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Chemise The Nines. Photo issue de notre article Chemise The Nines en flanelle recyclée : Test & Avis.

Autre exemple avec une paire de sneakers Belledonne. La marque propose des produits de haute qualité, fabriqués au Portugal. Elle a été affectée en 2022 par une hausse de 5% du coût de fabrication de ses modèles et a fait le choix de garder le même cahier des charges et donc de reporter cette hausse sur le prix du produit. Ainsi, Antonin de chez Belledonne nous explique qu’un modèle vendu 169€ se décompose comme suit (prix exprimés hors taxes) :

– 22€ de cuir
– 7€ pour les semelles
– 8€ pour les autres composants (première de montage, première de propreté, …)
– 17€ de main d’œuvre
– 4€ de packaging

Ce qui représente donc 58€ hors taxe (il faut compter environ 33,80€ de TVA). Ce qui laisse une marge d’environ 77€. Même si le coût de fabrication et le prix de vente sont plus élevés que pour la chemise The Nines, la marge reste donc sensiblement la même (entre 40 et 50%).

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Photo issue de notre article Baskets Belledonne B3 : Test & Avis.

5. Un nouveau modèle de production ?

Le modèle de production évoqué tout au long de cet article est le modèle traditionnel et majoritaire dans le marché du prêt-à-porter. Il consiste donc à faire baisser le prix du vêtement en réalisant des économies d’échelle ou en délocalisant tout ou partie de la production. D’autres économies sont faites via le choix de matières premières peu coûteuses et/ou avec peu de développement des produits créés.

Pourtant, depuis quelques années, des marques se lancent en choisissant de diminuer les coûts d’une autre façon. C’est ce que nous partage Stan, de chez Basus :

Nous avons choisi de réduire les coûts de distribution, en limitant les intermédiaires entre le produit et l’acheteur. C’est ce que font les Digital Native Verticale Brand, c’est-à-dire les marques indépendantes nées sur le web. Il y a également la possibilité de diminuer voire d’éliminer totalement les coûts de stock : c’est ce que font les marques qui travaillent en précommandes et celles qui travaillent à la demande.

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Veste de travail Basus. Photo issue de l’article Basus présente sa nouvelle collection.

Le modèle traditionnel du prêt-à-porter est très rigide dans sa fabrication car il conçoit et fabrique des produits irréversibles à chaque collection. C’est-à-dire qu’une marque va envoyer massivement en fabrication des vêtements, et qu’une fois reçus, elle aura un stock limité pour lequel elle aura essayé d’anticiper les succès et les besoins. Mais puisque ce n’est pas une science exacte, elle va se retrouver avec des vêtements non vendus qui seront soit vendus à prix bas (avec pas ou peu de marge), soit mis en stock, ce qui représente un coût non négligeable.

Si une certaine couleur ou une certaine coupe rencontre un grand succès, elle risque de passer à côté de nombreuses ventes car elle ne pourra pas toujours réagir assez vite pour restocker un succès inattendu. Enfin, la marque va déployer des moyens marketing importants pour faire coller les achats à ses prévisions. Conscient de toutes ces limites, ADRESSE a expérimenté une nouvelle façon de faire qu’Alexandra a bien voulu expliquer :

On peut complétement changer de modèle de production en s’appuyant sur le digital : via la production en continue ou made to order. C’est un nouveau type d’accord entre les marques et les usines. Plutôt que de passer 2 grosses commandes par an (pour chaque collection), la marque s’engage à confier des lots à produire tous les mois. Mais sans préciser à l’avance le détail de la couleur, de la taille et même parfois du modèle. Ainsi, la marque peut continuellement ajuster la production et bénéficier pleinement du potentiel des ventes de son modèle. Dès lors, la marque garde ouvert le champ des possibles sur un tissu : seules les ventes décideront s’il devient un pantalon en 38, en 40, une surchemise, etc.

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Chino ADRESSE. Photo issue de l’article look Bord de Vilaine.

Un modèle plein de promesses, qui n’impacte pas le client et lui permet au contraire de toujours trouver ce qu’il recherche. Cela reste néanmoins technique à mettre en place. Mais c’est ce qu’a réussi à faire ADRESSE pour la production de sa gamme de chinos :

Il faut des algorithmes bien pensés, un outil de décision/communication des commandes digital commun aux ateliers et à la marque ainsi que des machines de découpe nouvelle génération, que tous les ateliers ne possèdent pas. Pour réussir à basculer sur ce nouveau modèle, nous avons travaillé avec la start-up Tekyn.

Merci à
Atelier Particulier
Piola
Maison Standards
Erwan de chez The Nines
Antonin de chez Belledonne
Adrien de chez Paname Collections
Julia de chez LePantalon
Stan de chez Basus
Mélissa de chez Bocage
Alexandra de chez ADRESSE

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